par:
Emily Apter New York University, responsable de collection à Princeton University Press;
Izabela Aqutno Bocayuva Directrice du Centre de
philosophie, université de Rio de Janeiro ;
Xîaoquan Chu Doyen de l'Institut des langues et de la littérature étrangère, université Fudan, Chine; Jacques Lezra Department of Comparative Literature, New York University;
Mîchael Loriaux Professor of Political Science, Northwestern University;
Nobutaka Mtura Professeur à l'université Chûo, Japon;
Myroslav Popovych Directeur de l'Institut de philosophie de l'Académie des sciences d'Ukraine;
Dumitru Topan Pecteur de l'université de Craiova, Roumanie;
Fernando Santoro Directeur du programme de doctorat, université de Rio de Janeiro.
Le Parlement français examine ce jour un
projet de loi qui risque de contribuer à l’ 'expansion rapide de l’anglais comme
vecteur principal d'enseignement dans le système universitaire français. Nous,
qui décidons depuis la Chine, le Brésil, les Etats Unis, l'Europe centrale, de l’envoi
de nos étudiants en France, nous nous permettons de vous mettre en garde contre
la disposition législative envisagée, présentée comme un remède miracle pour favoriser
« l’attractivité » de vos universités
auprès de nos étudiants.
Elle
repose en fait sur une double erreur
d'appréciation.
La première porte sur les raisons qui conduisent des étudiants étrangers à
faire le choix de la France. Pas plus que les touristes ne viennent chercher
dans votre pays des Starbucks ou des McDonald's, nos étudiants n'aspirent à recevoir en anglais, dans vos universités ou grandes écoles, une
formation que, sans vouloir vous désobliger, vos
partenaires anglophones sont mieux armés que vous pour
dispenser. La mondialisation, qui provoque
des phénomènes d’uniformisation, a cet effet paradoxal de faire de la diversité
une valeur : ce que les meilleurs d'entre eux viennent chercher en France, la
raison pour laquelle nous les y envoyons, c'est justement une autre façon de
penser, une autre façon de voir le monde, un modèle culturel alternatif aux
modèles anglo-saxons dominants. Nous avons impérativement
besoin de cette autre voie. Or, cette différence est liée à la langue que vous parlez. Si le savoir est universel, la langue qui permet d’y accéder, elle, ne l'’est
jamais. Les langues ne sont pas interchangeable,
on ne dit pas la même chose dans une
langue et dans une autre. Vous avez
la chance de disposer en français d’un formidable capital d’intelligence lié à
une tradition plusieurs fois séculaire : ne le dilapidez pas en
renonçant à la langue qui le constitue. Il est absurde de considérer le
français comme un obstacle à l’attractivité de votre pays : dans la
concurrence mondiale, il représente votre avantage comparatif, votre valeur
différentielle.
Enfin, en venant en
France, et parce que votre pays est une porte d’entrée vers le Maghreb et
l’Afrique, nos étudiants cherchent aussi à bénéficier d’un tremplin, en
accédant par votre intermédiaire à ce vaste espace francophone, à ses
richesses, à ses perspectives de développement. Prenez garde à ne pas
décourager les pays qui en font partie, car comment voulez-vous qu’ils conservent
l’usage du français dans leurs systèmes éducatifs si vous-même y
renoncez ? Il est douteux que votre intérêt soit de brader les
avantages économiques que vous pouvez tirer de solidarités linguistiques
forgées par l’histoire.
Améliorez
vos infrastructures universitaires, facilitez l’obtention de visas, simplifier
les formalités administrative, offrez des perspectives de carrier aux étudiants
étranger que vous accueillez, renforcez chez eux, mais aussi chez les français
eux-mêmes, la maîtrise des langues : tels sont en France, comme partout
ailleurs, les objectifs à poursuivre pour améliorer l’attractivité d’un système
d’enseignement. Mais ne renoncez pas à l’usage de votre langue dans la
transmission des savoirs, car en vous appauvrissant vous-même, vous appauvrirez
aussi le monde entier.