RÉFLEXIONS SUR MILTON
MILTON, né d'un père et d'une mère nobles, vivant dans une terre des environs de Londres, après avoir été formé à l'étude des lettres à l'université de Cambridge, et après avoir donné des symptômes de, supériorité d'esprit dans des poésies latines, admirées des érudits, avait été envoyé en Italie par son père pour s'exercer au monde et aux lettres avant l’âge des affaires et de la politique. Il y prolongea pendant de, longues années son séjour, séduit par la douceur du climat, par la grâce des femmes, par la poésie des sites et des hommes, par des amitiés illustres avec les grands patrons des poètes du temps, et par cette mollesse de l'air de Naples qui s'infiltre dans les veines et qui lait oublier tout, même la gloire et la patrie ; il l'avoue lui-même dans ces vers écrits dans la langue du Tasse:
« J’ai oublié la Tamise pour le voluptueux Arno.
Ainsi la voulu, l'amour, qui ne veux jamais rien en vain ! »
On voit qu'il y avait à Florence ou à Pisé une autre Léonore pour cet autre Tasse. L'amour seul donne, le secret de ce qui parait inexplicable, dans la vie, des hommes et surtout des poètes. Comment cet amour fut-il dénoué? C'est le mystère de cette période de la vie de Mil ton.
A son retour en Angleterre, il trouva le parlement en guerre avec le roi, les armes dans toutes les mains, le feu des controverses religieuses et politiques dans toutes les âmes. Il réfléchit trois ans dans la solitude sans paraître pencher ni vers les royalistes ni vers les puritains, uniquement absorbé dans les études préparatoires de son poème futur déjà conçu dans ses voyages. «J'adresserai un jour à la postérité, dit-il à cette époque, dans une lettre confidentielle à un ami, quelque chose qui ne laissera pas mourir mon nom, au moins dans mon île natale! » Ainsi tous les grands hommes ont de bonne heure un sentiment anticipé de leur gloire future.
Ces trois ans écoulés, Milton ajourna son poème à des temps plus littéraires, si jamais ces temps devaient revenir, et il prit parti pour la liberté. Il y avait assez longtemps que les poètes suivaient les cours; il fut tenté par la gloire d'être dans son pays le premier poète du Dieu et du peuple.
Mais ni le peuple, ni les puritains n'avaient d'oreilles pour les vers. Il se jeta dans la mêlée armé de harangues, de controverses, de pamphlets, ces armes quotidiennes du peuple en révolution. Son talent transformé, mais non avili, répandit bientôt son nom dans la foule. On y sentait l'accent mâle et républicain de la vieille Rome vibrant dans l'âme d'un Breton. Cromwell, qui personnifiait alors en lui le peuple, l'armée, le zèle de la foi, l'orgueil de la race, le droit de la nation, devint le Macchabée de Milton. Le poète s'attacha à la fortune du protecteur comme à la fortune de ses idées. Cromwell, qui parlait beaucoup, mais qui parlait mal, et qui n'avait ni le temps ni le loisir d'écrire, accueillit avec empressement ce talent viril, éloquent et imagé que Milton mettait à son service. Il le rapprocha de lui en lui donnant le titre de son secrétaire et en lui confiant la rédaction des actes du gouvernement.
à suivre ...