jeudi 31 janvier 2013

"Son œuvre a l'évidence et la force d'une rumeur immémoriale qui mêle
  les instants et les corps. Qui réinvente l'éclair sombre des destinées."  
                                                                                                 ANDRE VELTER

 
Parce que les images qu'on nous donne de cette guerre sont techniquement parfaites, mais insignifiantes par elles-mêmes, Velickovic prend le risque d'en créer d'autres, technologiquement "imparfaites", mais réellement parlantes, parce que chargées de cette électricité particulière qu'est la "volonté de sens". "La télévision n'est pas un moyen d'expression", disait Godard, dès 1962, aux Cahiers du cinéma. Il ajoutait : "La preuve, c'est que, plus c'est idiot, plus c'est fascinant, plus les gens restent immobilisés sur leurs petites chaises". La télévision, qui est devenue, depuis le début des années soixante, le modèle absolu de l'image, puisqu'elle s'est répercutée jusque dans la façon de faire des tableaux, chez Warhol et Schifano, mais aussi, depuis le Pop, chez beaucoup d'autres, n'a pas empêché les peintres et les cinéastes de continuer à peindre des tableaux, à tourner des films où les images ne sont pas données d'avance, mais créées, pensées, recherchées, travaillées comme des esquisses, des brouillons de textes : à partir de zéro, ou de presque zéro.
 
 
Il faut toujours rappeler les choses les plus simples : le dessin, contrairement à la télévision, n'est pas un moyen de transmission, mais un moyen de création. Il n'est pas destiné à fasciner immédiatement le regardeur, mais à le faire réfléchir, à l'inciter à penser par lui-même. C'est aussi la raison pour laquelle Velickovic n'a cessé de continuer, sans relâche, sans jamais se décourager, à peindre et à dessiner. C'est pour cette raison initiale qu'il a accompli une œuvre qui, par sa puissance de trait et de jet, son impulsivité, son pouvoir spécifique d'expression, dépasse non seulement le système de transmission d'informations spectaculaires, mais chacune de toutes les images diffusées chaque jour, dans le monde entier, par tous les médias : techniquement parfaites, de plus en plus parfaites, puisque de plus en plus souvent numérisées, donc infiniment manipulables et privées de toute véritable volonté de sens autre que celui de la propagande (non-dite) et la publicité (avouée).
 

" Les éléments de base d'une peinture se trouvent profondément accrochés quelque part dans l'homme lui-même. Le tempérament, le caractère, l'optique, la vision portée sur l'environnement, sur les événements, le bagage hérité de l'enfance, l'histoire toute bête (et méchante) qu'elle peut être et qui fait, malgré nous, partie de notre quotidien. Cette histoire que nous faisons et qui nous bâtit. La violence en réalité, la réalité violente, était toujours pour moi un double imposé. Ce n'est pas moi qui ai choisi cela, du moins je le crois. La violence était là, présente, pesante, effrayante, en tenue de combat, en état de guerre et en état d'après-guerre. Forte en rafales de mitraillettes et aussi forte en rafales de mots d'ordre. J'appartiens à une génération qui a joué avec la violence (et sous la violence), qui a grandi sans que ça change pour autant, et qui vit aujourd'hui en regard de cette monstruosité. On se réveille avec, on se couche avec.
Est-ce qu'on peut la rejeter, ne pas la voir, y rester insensible ?
Elle s'introduit sous la peau, elle est là, résistante, toujours
renouvelée, pas très imaginative, à vrai dire, chiante.
Quoi faire ? S'occuper d'elle, vivre avec, en tout cas on ne peut lui échapper.
Se battre avec ? Inutile de négocier.
La peindre. Encore plus cruelle, plus ensanglantée, impitoyable.
La faire voir.
Mettre en images cet homme décapité, anonyme, fuyant, poursuivi par différentes agressions, parfois agresseur lui-même. Toute cette peinture est un échange perpétuel d'agressions. On agresse une toile, elle renvoie l'agression en forme d'image. Entre les deux, vous essayez de vous débattre et, comme dit Alain Jouffroy, "derrière toute image, il y a une guerre réelle". Je suis entièrement dedans, dans cette guerre qui continue d'image en image. Elle me concerne, elle fait partie de mon quotidien. Je n'essaie pas de fuir. J'admets que la peinture peut être différente, et même à l'opposé, mais pour moi, je ne l'ai jamais considérée comme un 'fauteuil confortable", selon l'expression de Matisse. Peut-être une question d'engagement ? "                                   
                                                                                                 VLADIMIR VELICKOVIC



 
 
 
"L'œuvre de Velickovic ne cesse de s'imposer à nous avec la force et la mesure d'un art qui s'emploie à traiter et à s'élever de cet abîme infini, où plongent les racines de notre espèce, le corps physique et la violence qui fait la vie. "
MARCELIN PLEYNET