jeudi 23 mai 2013

Français, gardez votre langue à l'université

Français, gardez votre langue à l'université


par:
Emily Apter New York University, responsable de collection à Princeton University Press;
Izabela Aqutno Bocayuva Directrice du Centre de philosophie, université de Rio de Janeiro ;
Xîaoquan Chu Doyen de l'Institut des langues et de la littérature étrangère, université Fudan, Chine;
Jacques Lezra Department of Comparative Literature, New York University;
Mîchael Loriaux Professor of Political Science, Northwestern University;
Nobutaka Mtura Professeur à l'université Chûo, Japon;
Myroslav Popovych Directeur de l'Institut de philosophie de l'Académie des sciences d'Ukraine;
Dumitru Topan Pecteur de l'université de Craiova, Roumanie;
Fernando Santoro Directeur du programme de doctorat, université de Rio de Janeiro.



Le Parlement français examine ce jour  un projet de loi qui risque de contribuer à l’ 'expansion rapide de l’anglais comme vecteur principal d'enseignement dans le système universitaire français. Nous, qui décidons depuis la Chine, le Brésil, les Etats Unis, l'Europe centrale, de l’envoi de nos étudiants en France, nous nous permettons de vous mettre en garde contre la disposition législative envisagée, présentée comme un remède miracle pour favoriser « l’attractivité » de vos universités auprès de nos étudiants.

Elle repose en fait sur une double erreur d'appréciation. La première porte sur les raisons qui conduisent des étudiants étrangers à faire le choix de la France. Pas plus que les touristes ne viennent chercher dans votre pays des Starbucks ou des McDonald's, nos étudiants n'aspirent à recevoir en anglais, dans vos universités ou grandes écoles, une formation que, sans vouloir vous désobliger, vos partenaires anglophones sont mieux armés que vous pour dispenser. La mondialisation, qui provoque des phénomènes d’uniformisation, a cet effet paradoxal de faire de la diversité une valeur : ce que les meilleurs d'entre eux viennent chercher en France, la raison pour laquelle nous les y envoyons, c'est justement une autre façon de penser, une autre façon de voir le monde, un modèle culturel alternatif aux modèles anglo-saxons dominants. Nous avons impérativement besoin de cette autre voie. Or, cette différence est liée à la langue que vous parlez. Si le savoir est universel, la langue qui permet d’y accéder, elle, ne l'’est jamais. Les langues ne sont pas interchangeable, on ne dit pas la même chose dans une langue et dans une autre. Vous avez la chance de disposer en français d’un formidable capital d’intelligence lié à une tradition plusieurs fois séculaire : ne le dilapidez pas en renonçant à la langue qui le constitue. Il est absurde de considérer le français comme un obstacle à l’attractivité de votre pays : dans la concurrence mondiale, il représente votre avantage comparatif, votre valeur différentielle.

Enfin, en venant en France, et parce que votre pays est une porte d’entrée vers le Maghreb et l’Afrique, nos étudiants cherchent aussi à bénéficier d’un tremplin, en accédant par votre intermédiaire à ce vaste espace francophone, à ses richesses, à ses perspectives de développement. Prenez garde à ne pas décourager les pays qui en font partie, car comment voulez-vous qu’ils conservent l’usage du français dans leurs systèmes éducatifs si vous-même y renoncez ? Il est douteux que votre intérêt soit de brader les avantages économiques que vous pouvez tirer de solidarités linguistiques forgées par l’histoire.

Améliorez vos infrastructures universitaires, facilitez l’obtention de visas, simplifier les formalités administrative, offrez des perspectives de carrier aux étudiants étranger que vous accueillez, renforcez chez eux, mais aussi chez les français eux-mêmes, la maîtrise des langues : tels sont en France, comme partout ailleurs, les objectifs à poursuivre pour améliorer l’attractivité d’un système d’enseignement. Mais ne renoncez pas à l’usage de votre langue dans la transmission des savoirs, car en vous appauvrissant vous-même, vous appauvrirez aussi le monde entier.

mardi 21 mai 2013

L'écume des jours illustré par Jean-Théobald Jacus



                                   Les frères Desmaret s’habillaient pour la noce.
Ils étaient très souvent invités comme pédérastes d’honneur car ils présentaient bien.
Ils étaient jumeaux. L’aîné s’appelait Coriolan. Il avait les cheveux noirs et frisés, la peau blanche et douce, un air de virginité, le nez droit et les yeux bleus derrière de grands cils jaunes.

 
 
 
Le cadet, nommé Pégase, offrait un aspect semblable, à cela près que ses cils étaient verts, ce qui suffisait, d’ordinaire, à les distinguer l’un de l’autre. Ils avaient embrassé la carrière de pédérastes par nécessité et par goût, mais, comme on les payait bien pour être pédérastes d’honneur, ils ne travaillaient presque plus, et malheureusement, cette oisiveté funeste les poussait au vice de temps à autre.
(Extrait - L'écume des jours Boris Vian)